
Albiaanews : Saida Zemzemi
La mer Méditerranée est aujourd’hui en déclin rapide avec des menaces qui pèsent sur les habitats essentiels à la reproduction des espèces marines. C’est aussi la mer la plus surpêchée au monde, avec 90% des stocks pêchés au- dessus des niveaux durables. En Tunisie, la pêche contribue fondamentalement à la sécurité alimentaire et à l’équilibre social et économique, notamment dans les régions où elle constitue la principale source de revenus. Néanmoins, le secteur de la pêche en Tunisie, ainsi que d’autres pays de la cote méditerranéenne, est confronté à de multiples problèmes, tels que la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (dites INN), la surexploitation des stocks de poisson et la pollution, qui constituent une véritable menace environnementale en épuisant les stocks de poissons et en menaçant les écosystèmes marins vulnérables.
Au port Kélibia, le pêcheur Mohamed, âgé de 60 ans, originaire de Téboulba (gouvernorat de Monastir) a déclaré à Albiaanews : « Nous travaillons dans la pêche depuis des générations. La mer dans le passé était généreuse avec une surproduction de poissons incomparable à nos jours. J’ai quitté ma région (Teboulba) à la recherche de plus de ressources halieutiques à Kélilbia mais la réalité est choquante. Les mêmes conditions, pas de poisson pour répondre à nos besoins. »
Il a ajouté : « Il y a beaucoup de contes sur la mer. Nous commençons à 16 heures et finissons à 3 heures du matin parce que la seule source de nos besoins quotidiens est la pêche. Le pêcheur est coincé ; lorsqu’il prendra sa retraite, sa pension ne couvrira même pas ses factures d’eau et d’électricité », a-t-il déclaré.
Pour sa part, le pêcheur Ali qui se trouve au port de Kelibia, âgé de 68 ans, a vécu à l’étranger pendant des années et a fait son retour définitif en Tunisie pour choisir la pêche comme seule source de revenus. Il a déclaré : « Il est difficile de fournir les gens en poissons, surtout quand ils sont rares et ne peuvent être trouvés que dans des endroits éloignés et qu’il faut neuf heures pour se rendre sur les lieux de pêche, et que chaque voyage est coûteux ».
Ali s’est plaint: « Il y a certaines personnes qui profitent des pêcheurs et du secteur de la pêche en achetant des équipements et en persuadant les pêcheurs de les utiliser même s’ils n’en ont pas besoin, les contrevenants ne sont aucunement dissuadés ».
Exprimant ses craintes pour le secteur, le pêcheur Ali a déclaré que « les générations futures n’auront rien à manger ou à vivre si nous détruisons le trésor de poissons aujourd’hui, appelant à la nécessité que « la loi soit robuste et strictement appliquée contre ceux qui la violent ainsi que ceux qui ferment les yeux sur elle. »
En outre, Ali a déclaré que « les responsables ne laissent pas la mer se reposer comme les Européens, les appelant à réfléchir à la question car c’est un sujet sérieux ». « Ni les problèmes ni les remèdes ne sont jamais abordés par les responsables », a-t-il indiqué.
Béchir, un autre pêcheur de 55 ans originaire de la région de Bizerte, dans le nord de la Tunisie, était dans le port de Kélibia pour trouver plus d’opportunités dans le secteur de la pêche. Il a déclaré : « Cette année, en particulier, il a fait très chaud. Il n’y a pas de poisson », regrettant que « tout soit pris par les gros bateaux qui ne laissent rien en utilisant tous les moyens possibles pour trouver le poisson ne laissant rien aux petits pêcheurs qui n’ont pas pu prendre leur juste part ».
« Ce sont ces problèmes qui empêchent la bonne production des ressources halieutiques, beaucoup de bateaux de pêche surtout les gros au détriment des petits bateaux, a conclu M. Béchir.
Communication et sensibilisation
A ce propos, Yassine Skandrani, Chargé de mission au Ministère de l’Agriculture, a clarifié certaines questions du secteur de la pêche en Tunisie dans une déclaration à Albiaanews.
Il a déclaré que « l’industrie de la pêche fait partie du patrimoine culturel et social de nombreux endroits, dont l’île de Kerkenah, qui est liée à la pêche maritime. La Tunisie compte 13 000 unités de pêche en mer, la pêche est donc toujours importante en Tunisie. Cependant, il y a des revers et des problèmes, comme dans toute industrie, des dangers qui sont plus répandus aujourd’hui, comme le changement climatique »
Skandrani a également souligné que « par rapport à la moyenne des années précédentes, la température de la mer en juillet 2022 a été extrêmement élevée, atteignant 31 °C, ce qui provoque la migration des poissons de la Méditerranée vers les régions du nord ». Et il ajoute : « La raison supplémentaire dans la surexploitation de nombreuses espèces de poissons, en particulier celles à haute valeur commerciale, est le résultat d’une pêche désordonnée effectuée par des pêcheurs utilisant des méthodes de pêche qui garantissent une bonne production. »
En outre, il a déclaré que « l’implication du gouvernement dans l’orientation et la promotion de la sensibilisation, ainsi que celle des organisations intéressées par l’industrie de la pêche et l’environnement marin par l’utilisation d’engins de pêche sélectifs est cruciale. »
« La sensibilisation et l’amélioration de la productivité des pêcheurs contribuent à protéger l’environnement marin tout en accordant une attention particulière à l’élément humain », a déclaré à le chargé de mission.
« Le secteur industriel dans le golfe de Gabès et le golfe de Tunis est un contributeur majeur à la pollution marine, qui menace également les ressources en eau et en mer en réduisant la production de poissons qui cause principalement la baisse des stocks de poissons », a noté Yassine Skandrani.
Il a rappelé que « depuis 2006, la Tunisie a commencé à exécuter une politique nationale pour l’élevage des espèces marines, malgré le fait que la majorité de ses stocks sont surexploités.

Yassine Skandrani, Chargé de mission au Ministère de l’Agriculture
Comme solution aux problèmes du secteur de la pêche en Tunisie, le responsable a précisé qu’à travers le suivi par satellite et par bateau, qui diminue les frais de contrôle, le ministère cherche à réguler la pêche INN, principalement dans le golfe de Gabès et tout le long de la côte tunisienne, qui est un système technique de contrôle des bateaux.
Répondant à une question de Albiaanews sur le repos en mer, il a indiqué que le repos biologique en mer est une technique que la Tunisie utilise depuis 2009 pour les bateaux de pêche au chalut dans le Golfe de Gabès pendant trois mois par an (juillet-août à fin septembre) et pour financer les bateaux qui ont besoin de se reposer, la Tunisie a créé un fonds de repos biologique.
Sur un autre plan, le ministère de l’Agriculture emploie 162 agents de sécurité dans 42 ports, a ajouté Yassine Skandrani en précisant que les garde-côtes (ministère de l’Intérieur), la garde militaire (ministère de la Défense), les douanes maritimes et le ministère de l’Agriculture, sont chargés de contrôler et de verbaliser les contrevenants.
À cet égard, deux bateaux sentinelles de 27 mètres seront livrées à la Tunisie d’ici la fin de 2023 dans le cadre d’un partenariat international avec le Japon, pour renforcer la capacité de contrôle du ministère de l’Agriculture, a-t-il dit.
Contribution des organisations internationales
De nombreuses organisations ont été actives au cours des dix dernières années pour mettre en place des programmes de développement, des campagnes de sensibilisation du public et des efforts pour protéger l’environnement marin, a-t-il souligné.
Valerio Crespi, fonctionnaire technique de la pêche et de l’aquaculture du bureau régional de l’ Afrique du Nord de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à Tunis, a également fait une déclaration à Albiaanews au cours de laquelle il a dit : « Nous sommes fortement impliqués dans la fourniture à nos partenaires nationaux de l’assistance dont ils ont besoin, l’industrie est en fait en proie à un certain nombre de problèmes et est principalement surexploitée, en particulier dans le golfe de Gabès. »

Valerio Crespi, fonctionnaire technique de la pêche et de l’aquaculture du bureau régional de l’ Afrique du Nord basé à Tunis
« les chaluts illégaux dit « kiss » qui pêchent dans les bas fonds et dans les zones de reproduction de poissons dans le golfe de Gabès », a-t-il noté.
Valerio Crespi a déclaré que la FAO a dû faire des études pour faire face aux problèmes pour comprendre le type de problème lié à la pandémie, notant que récemment « nous faisons beaucoup de travail sur la protection sociale lorsque les pêcheurs artisanaux se sont retrouvés avec un arrêt de leurs activités ; le point faible du secteur est le manque d’organisation, a-t-il regretté.
Un autre problème à l’origine du déclin du secteur de la pêche est l’impact de la pollution provenant des entreprises industrielles et des bâtiments, comme le cas du phosphogypse dans le golfe de Gabès ainsi que les proliférations d’algues nuisibles
Le Fonds mondial pour la nature (WWF) Afrique du Nord s’est dit préoccupé à « concilier la pêche et la biodiversité et préserver les ressources marines vivantes comme par exemple le cas la pêche artisanale à Gabes. » d’après un rapport officiel publié sur leur site web: (https://www.wwf.tn))
Le WWF Afrique du Nord note que « La région du golfe de Gabès subit des pressions considérables, notamment celles liées à la pêche qui impacte directement certains habitats et espèces ». En effet, Selon le WWF « la majorité des herbiers marins sont détruits par le passage répété des chaluts et d’autres engins destructifs. »
Le WWF estime que « Les défis de la préservation des zones côtières restent encore nombreux à relever, pour protéger une biodiversité riche et une productivité essentielle pour les communautés qui en dépendent », soulignant que « L’adoption de pratiques de pêches plus respectueuses, est désormais primordial pour assurer un impact positif direct sur la biodiversité, et aussi sur les activités de pêche. Enfin, un écosystème sain est aussi plus productif. »
D’un autre côté, à cela s’ajoute le manque de sensibilisation des pêcheurs à la nécessité de protéger les ressources marines et l’environnement, ainsi que la surcapacité et la surexploitation des ressources marines par les chalutiers.
La situation du secteur de la pêche est également aggravée par le manque de coordination et de partenariat entre les professionnels et l’autorité.
L’impacte des algues nuisibles
Toutefois, avec l’élévation du niveau de la mer et des températures, le secteur de la pêche risque de subir davantage de tempêtes et de vagues de chaleur. Ces événements auront une incidence sur le taux de mortalité des populations de poissons ainsi que sur le développement et la propagation d’espèces invasives et d’algues toxiques selon l’Institut National Des Sciences et Technologies de La Mer (INSTM) « Les Proliférations d’Algues Nuisibles (PAN ou Harmful Algae Blooms, HABs) représentent un phénomène naturel causé par la prolifération en masse du phytoplancton toxique ou non-toxique (cyanobactéries, diatomées, dinoflagellés) dans les milieux aquatiques…
Ces efflorescences peuvent être nocives pour l’environnement, la santé humaine et la vie aquatique en raison de la production de toxines nocives et l’épuisement d’oxygène suite à l’accumulation de biomasse.
La sonnette d’alarme a été tirée les dernières années sur la dégradation des ressources halieutiques liée notamment à l’activité de la pêche illégale qui s’est intensifiée, et ce qui a menacé l’économie de la pêche, et la protection sociale, mais malheureusement et hélas, ce dossier n’était pas pris au sérieux par nos décideurs. Au contraire, les messages d’appels pour lutter contre le braconnage de la mer et préserver la biodiversité se sont multipliés d’un jour à un autre. Et les axes d’intervention ne sont pas marqués.
Personne ne peut nier les menaces environnementales que confronte le secteur de la pêche en Tunisie, ajoutant la surexploitation massive. C’est pour cette raison, il est temps d’agir et de réviser la Stratégie de développement du secteur pour les prochaines années et mettre en place un plan d’action ambitieux pour promouvoir le secteur, améliorer la qualité de la production et assurer sa durabilité.
« Ce reportage a été produit avec le soutien de l’Earth Journalism Network d’Internews, dans le cadre du projet Méditerranéen Media Initiative ».
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